Contexte et Justification
Dans le cadre de la recherche initiée par le Regroupement Education Pour Toutes et tous (REPT) sur les politiques, les plans et programmes ainsi que d’autres documents du Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) en vue de proposer des suggestions pour une intégration pleine et entière de la perspective de genre, il a été repéré qu’il existe un vide patent concernant des documents y relatifs.
Cette recherche se situe dans les objectifs du projet de Renforcement des capacités de plaidoyer pour le droit humain à l’éducation mis en œuvre par le REPT, finance par le Partenariat Mondial de l‘Education (PME), à travers le Programme Education A Voix Haute (EOL en anglais). L’une de ses activités est de faire des recommandations au MENFP pour la prise en compte ou l’intégration de la perspective de genre dans les politiques du ministère.
L’objectif des recommandations est de contribuer à la transformation du système éducatif haïtien pour qu’il puisse remplir sa mission Transformatrice.
Le principe de l’Agenda Éducation 2030 (ODD4) définit l’éducation comme un droit fondamental qui ouvre la voie à l’exercice d’autres droits[1]. Pour réaliser ce droit les pays doivent garantir un accès universel et égal à une éducation de qualité équitable et inclusive qui soit obligatoire et gratuite en ne laissant personne de côté. Elle doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et à la promotion de la compréhension mutuelle, de la tolérance, de l’amitié et de la paix. L’éducation est un droit humain dont l’État à la responsabilité de sa réalisation[2]. Elle est une cause commune qui implique que la formulation et la mise en œuvre des politiques publiques soient participatives.
L’Égalité des sexes est inséparable du droit à l’éducation pour toutes et pour tous. Pour qu’elle devienne une réalité il faut adopter une démarche fondée sur le droit qui garantisse aux étudiants et étudiantes, aux femmes et aux hommes, non seulement le même accès aux différents cycles d’enseignements jusqu’à leurs termes mais aussi les mêmes possibilités de s’épanouir grâce à l’éducation.
L’une des approches de l’Agenda Education 2030 consiste précisément à mettre l’accent sur l’équité, l’inclusion et l’égalité des sexes. Elle relate que pour garantir l’égalité des sexes les Gouvernements et les partenaires doivent mettre en place des politiques, une planification et des environnements d’apprentissage attentifs aux genres, intégrer les questions y relatives dans la formation des enseignants et des enseignantes et dans les programmes d’enseignement, assurer le suivi des progrès accomplis et éliminer dans les établissements éducatifs la discrimination et la violence de genre pour veiller à ce que l’enseignement ait un impact identique sur les filles et les garçons, les femmes et les hommes afin de faire progresser l’égalités des sexes.
Elle exprime aussi que des mesures spécifiques soient prises pour garantir l’égalité des sexes dans les systèmes éducatifs afin d’y éliminer les préjugés sexistes et les discriminations résultant des attitudes, des pratiques sociales et culturelles ou du statut économique. Son objectif vise à assurer une éducation inclusive, équitable et de qualité et à promouvoir des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie pour tous.
L’Égalité de genre est une priorité mondiale de l’UNESCO qui attire l’attention sur l’égalité des genres dans l’ensemble du système éducatif que ce soit en terme d’accès, de contenu, de contexte, de pratiques d’enseignement et d’apprentissage, de résultats et de possibilités pour la vie et le travail. Son action vise une transformation de nature systémique bénéficiant à tous les apprenants sur un même pied d’égalité, mais malgré ses progrès le défi de l’égalité des genres dans l’éducation auraient besoin
d’être beaucoup plus large. Équilibrer les opportunités éducatives entre les hommes et les femmes en terme de participation et d’apprentissage complet est nécessaire mais se révèle insuffisant pour réaliser l’égalité des genres dans l’éducation, c’est là que devra entrer en jeu l’intégration de la perspective de genre dans le système éducatif haïtien.
Les avancées normatives ont approfondi une compréhension conceptuelle qui doit non seulement guider le sens des politiques publiques mais permettre une définition plus précise des crimes, des violations posant des fondements des mécanismes de justiciabilité et d’instrumentalisation de l’éducation pour la jouissance de tous les droits de l’homme à travers l’éducation. Ce sont ces fondements qui ont conçu le concept de perspective de genre.
Intégration de la perspective de Genre dans le système éducatif haïtien
L’intégration de la perspective de genre consiste à répondre aux préoccupations relatives à l’égalité des sexes dans la législation, les politiques, les programmes et les activités pour faire en sorte que toutes les initiatives de développement intègrent les préoccupations des hommes et des femmes, de toutes les personnes et que leurs besoins soient pris en considération de façon égale et ou équitable dans le but d’atteindre l’égalité des genres.
La politique de genre du Ministère doit concerner la dimension de la planification stratégique, la dimension politico-programmatique, la dimension politico-institutionnelle et la dimension administrativo-financière
Le manque de prise en compte de cette approche dans le système éducatif haïtien engendre, entre autres, des violations de droit des femmes dans toutes les sphères de l’Administration, depuis la plus haute instance hiérarchique jusqu’à la section préscolaire. Pour illustrer cette anomalie on peut noter que le système éducatif haïtien établit en 1843 a dû attendre les années 2000 pour avoir une femme aux commandes et il n’y a eu que trois (3) femmes à occuper ce poste sur 161 hommes[3]. Il est impératif de promouvoir la déconstruction des masculinités hégémoniques pour la reconstruction de modèles de féminité et de masculinités dans des conditions d’égalité vers le dépassement des rôles stéréotypés, sexistes ainsi que la dénaturalisation de la violence de genre.
L’intégration d’une perspective du genre nécessite un leadership politique, ainsi qu’un engagement et des ressources importantes. Il doit y avoir également des politiques et programmes qui se penchent sur les besoins spécifiques des groupes de femmes, ceux des hommes et de toutes les personnes en générale. Par exemple, les mesures de sécurité et de lutte contre la violence sont conçues pour répondre aux besoins spécifiques des femmes, mais la sécurité générale et le maintien de l’ordre doivent répondre aux besoins des femmes et des hommes, ainsi que des filles et des garçons.
Recommandations
Pour intégrer la perspective de genre dans le système éducatif haïtien, il faut définir une méthodologie comportant des étapes précises visant à:
- Elaborer de manière participative une politique de genre basée sur l’égalité des sexes :
- Respect de l’identité sexuelle
- Promotion de l’égalité filles/garçons
- Lutte contre la violence basée sur le genre
- Formation du personnel éducatif et administratif en équité de genre,
- Présence et participation des femmes à tous les niveaux de prise de décision,
- Initiation aux filles vers les sciences dures comme mathématiques, physique, technologies…
- Concevoir et mettre en place et faire fonctionner une instance chargée au sein du Ministère de l’intégration de la perspective de genre.
- Réviser les manuels scolaires et les cursus par l’élimination des stéréotypes de genre et l’utilisation d’une approche basée sur l’égalité des sexes; L’élaboration des modules de formations sur le sujet en question.
- Accompagner les femmes et les filles victimes de violence à l’appui judiciaire, psycho-sociale, médical dans l’enceinte de l’école.
- Organiser des campagnes de sensibilisation contre le harcèlement et les violences basés sur le genre.
- Promouvoir le changement de la masculinité patriarcale se mesurant à l’aune de la domination et de la violence en optant pour la promotion davantage de féminités épanouies et de masculinités responsables dans des conditions d’égalité à travers l’éducation qui doit commencer par l’éducation de la petite enfance.
- Développer des programmes d’éducation sexuelle intégrale. Promouvoir des réflexions sur les droits sexuels et reproductifs, sur la santé sexuelle et sur l’identité de genre, sans oublier la question de l’autonomie et de libertés aidant à briser le contrôle sur la corporalité particulièrement des filles, des adolescents et des femmes dans tous les domaines. une éducation sexuelle dans le curriculum s’avère cruciale pour développer une image positive des filles, une prévention à la violence et à la grossesse infantile et adolescente, la liberté et l’égalité des genres.
- Garantir que les filles ne doivent pas être exclues des établissements en situation de grossesse car elles détiennent le droit de continuer leurs études.
- Reconnaitre les jeunes non seulement comme des sujets de droit mais aussi comme des Agents/Agentes de transformation indispensable pour renforcer les espaces de dialogues et de prises de décisions en encourageant activement la participation des filles et des jeunes adolescentes à la gestion démocratique dans les écoles;
- Assurer une infrastructure accessible et sûre pour les filles et les adolescentes et la prise en compte de santé menstruelle (disponibilité de serviettes hygiéniques gratuites)
- Les latrines doivent être non seulement remplacées par des toilettes modernes et identifiées par sexe. Le maintien en état propre doit être également assuré.
- Introduire dans le cursus, du préscolaire à l’université des programmes de masculinité responsable pour porter les hommes à se respecter et à respecter le sexe différent afin de développer des rapports harmonieux, équilibrés et productifs;
- Intégrer la perspective de genre dans les approches pédagogiques ou les méthodologies didactiques qui sont adoptées et appliquées par un établissement quel qu’il soit;
- Recenser les questions d’égalité des sexes et les écarts liés au genre qui sont évidents ou moins évidents, en procédant à une analyse selon le genre des données ventilées par sexe et en menant des consultations avec des femmes et avec des hommes; Sensibiliser à ces questions ou écarts par le dialogue sur les politiques et par le plaidoyer.
- Élaborer des stratégies, des programmes et des initiatives afin de combler les écarts existants;
- Mettre en place ces initiatives et les appuyer par la fourniture de ressources adéquates;
- Renforcer les capacités des personnels dans le domaine de la planification et de la mise en œuvre sensible au genre.
- Former les enseignantes et les enseignants aux prescrits de la perspective de genre.
- Assurer le suivi, l’évaluation, l’établissement de rapports, la synthèse des enseignements tirés et les rendre publique.
- Tenir les particuliers et les institutions responsables des résultats pour mobiliser la volonté politique et le leadership.
- Utiliser une approche multisectorielle qui implique le MCFDF, le MENFP, le MSPP, le MICT, le MPCE, la direction de l’aménagement du territoire, la société civile organisée et la police comme devant conjuguer leurs efforts pour assurer la mise en œuvre des politiques publiques et l’élaboration des budgets pour la pleine réalisation du droit humain à l’éducation avec la perspective de genre visant à combattre les inégalités et les violences sexuelles et sexistes dans les écoles ( lieux de production de connaissances).
Cadres normatifs
- Cadre normatif national.
La Constitution haïtienne de 1987 amendée
Décret modifiant le régime des agressions sexuelles et éliminant en la matière les discriminations contre les femmes dans le Code Pénal, adopté le 6 juillet 2005 et publié dans le Journal Officiel « Le Moniteur » du 11 août 2005
Politiques d’égalité Femmes Hommes, 2014-2034
La loi sur la paternité, la maternité et la filiation, juin 2014
- Cadre normatif international
Le cadre normatif de cette proposition de politique se base sur les instruments juridiques suivants de l’Organisation des Nations unies :
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948).
Convention contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement (1960)
Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CEDAW, 1965)
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966).
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979)
Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) (1979).
Convention sur les droits de l’enfant (1989)
Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants (1989)
Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants (1989).
Convention relative aux droits des personnes handicapées (2006)
Aussi, elle prend en compte des conférences internationales qui, d’une manière ou d’une autre concernent le Droit Humain ā l’Education (DHE)
Conférence mondiale de l’Année internationale de la femme (1975)
Déclaration et programme d’action de Pékin (1995)
Le programme 2030 pour le développement durable et ses objectifs de développement durable (2015).
Agenda 2030 pour l’éducation d’Incheon et cadre d’action d’Incheon (2015)
Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants (2016)
Au niveau régional, les conventions et engagements suivants sont considérés comme pertinents pour orienter le cadre normatif de cette proposition :
Charte de l’Organisation des États Américains (art., 3, 49, 50), 1948.
Convention américaine relative aux droits de l’homme (Pacte de San José), 1978.
Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels (art. 13), 1988
Convention interaméricaine pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 13), 1988.
Convention interaméricaine sur la prévention, la répression et l’élimination de la violence à l’égard des femmes (Convention de Belém do Pará), 1994
Convention interaméricaine sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes (Convention de Belém do Pará), 1994.
Convention interaméricaine pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des personnes handicapées (art. 3), 1999
Convention interaméricaine pour la protection des personnes handicapées (art. 3), 1999.
Convention Interaméricaine sur la protection des droits de l’homme des personnes âgées (2015).
Consensus de Montevideo sur la population et le développement en Amérique latine et dans les Caraïbes (2015)
Consensus de Montevideo sur la population et le développement en Amérique latine et dans les Caraïbes, 2015.
[1] https://www.unesco.org/fr/education/education2030-sdg4
[2] Constitution haïtienne 1987. En son article 32.1
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_ministres_ha%C3%AFtiens_de_l%27%C3%89ducation#